Depuis lors
La 3e conférence européenne de l'AMP a eu lieu à Belgrade, l'été 2004.
Elle a été le fruit d'une collaboration entre DSM, une coalition anti-autoritaire et anticapitaliste basée en Serbie et un certain nombre de militant-e-s d'autres pays impliqué dans l'AMPe. L'organisation de cette conférence, issue de l'envie de sortir le réseau européen de son occidentalo-centrisme, relevait d'un certain défi, notamment du fait de la relative fragilité des structures militantes en Serbie. Le contexte était à la fois difficile et motivant : un pays au sortir d'une période de guerre et de dictature avec des mouvements nationalistes et « hooligans » extrêmement actifs, une société en train d'être accaparée à toute vitesse par l'économie de marché où la plupart des entreprises et industries sont en train d'être privatisées, rachetées par les grands groupes occidentaux ou fermées, avec un million de chômeur-euses sur 7 millions d'habitant-e-s. Il était excitant, sans idéaliser un contexte très dur, d'y trouver, derrière le mirage de la société de consommation, l'entretien de liens sociaux et de formes de convivialités, des structures de débrouilles, potagers et économies parallèles, des relents d'un passé avec certaines pratiques coopératives et autogestionnaires, et une défiance vis à vis des ONG. Autant de traits sociaux singuliers desquels apprendre et souvent malheureusement bien peu présents à l'ouest de l'Europe.
Au niveau de l'organisation de la conférence, une envie théorique doublée d'une nécessité pratique au vu du relatif manque d'expérience des convenors, ont poussé à creuser les formes plus participatives de conférence déjà expérimentées à Leiden. Un groupe international de préparation est arrivé sur place une dizaine de jours avant. Divers groupes de travail (facilitation des réunions, accueil, point d'infos, traduction, réseau informatique, cuisine, « sécurité », liens locaux, médias...) avec des réunions autonomes ont été créés et ont tenté de perdurer tout au long de la conférence en invitant les 700 conférencièr-e-s à y participer.
Chaque soir avait lieu une réunion décisionelle de coordination ouverte, à laquelle des représentant-e-s de ces différents groupes de travail étaient convié-e-s, et qui devait traiter des diverses problématiques transversales et de la coordination nécessaire entre les groupes. En terme de prise de décision sur les structures du réseau, il semblait important de ne pas renouveler l'expérience de l'assemblée de la plénière à 400 de Leiden, qui laissait peu de place pour la réflexion et l'expression, hormis pour les « ténors » du réseau, et qui n'avait été préparée que par un petit groupe de « spécialistes ».
Il fut donc décidé d'avoir chaque jour divers groupes de travail sur le processus AMPe préparant l'assemblée finale. Celle-ci consista en l'expérimentation, assez réussie de l'avis des participant-e-s, d'un « spokes council ». Les 300 personnes présentes étaient regroupées dans un même espace, mais au sein de groupes affinitaires de 10 à 20 personnes. Chaque série de propositions thématiques sur lesquelles des décisions devaient être prises (le processus mondial, les actions dans l'AMPe, les structures du réseau, les relations aux ONG, syndicats et forums sociaux, les questions de genres) était réfléchie d'abord en groupe affinitaire, puis décidée par un aller/retour constant entre un cercle de porte-paroles et leur groupe situé derrière elles/eux. Ceci permit au final que la plupart des personnes présentes put exprimer son point de vue avec un processus décisionnel beaucoup plus subtil que lors des habituelles assemblées générales ou règnent le spectacle et les grandes gueules.
La conférence qui se déroulait dans l'école d'une banlieue plutôt classe moyenne de Belgrade amena une cohabitation beaucoup plus fusionnelle qu'à Leiden avec les personnes « locales », et un certain nombre d'activités, causeries et fêtes, dans un mélange souvent stimulant de curiosité et d'attirance... et ce malgré des situations parfois un peu plus explosives notamment sur des questions d'homo/lesbophobie ou de défiance vis à vis des « gens de l'ouest ». Il y eut aussi une certaine ouverture plus grande hors du ghetto marginal, notamment par le biais d'une manifestation et d'une journée de réunion entre et avec des syndicalistes en lutte contre les privatisations d'usines. Citons encore une rencontre festive mémorable entre la samba de Rhythm of Resistance et un orchestre de la communauté Rom locale, qui amena des échanges d'expériences et projets entre des militant-e-s des réseaux No Border et migrant-e-s.
En terme de contenu, on assista encore une fois à un foisonnement, parfois trop chaotique au goût de certain-e-s, d'ateliers, projections et discussions les plus diverses. À noter que divers débats et cris de colère depuis Leiden avaient amené à la constitution d'un groupe de travail sur les questions de genres. Malgré les réticences et tensions que la remise en cause des rapports de pouvoir au sein même de nos groupes et réseaux ne manquent pas d'apporter, une collaboration fructueuse entre des collectifs féministes et antipatriarcaux de divers pays d'Europe et de Serbie a permis la réalisation d'une journée thématique spécialement consacrée au luttes antipatriarcales, la création d'espaces non-mixtes femmes, lesbiennes, homos et transgenres au sein de la conférence, et même (sujet encore hautement controversé en Europe) la tenue d'une réunion de réflexion contre le « masculinisme » entre hommes. Ce moment démarra par le partage d'expérience d'un groupe serbe sur les violences masculines contre les femmes, qui organise des rencontres et essaient de revenir sur une histoire encore "chaude" de propagandes et vécus guerriers et virilistes dans un pays ou le maintien des vieillles structures patriarcales, l'église orthodoxe et le passage éclair au néo-libéralisme accroissent la marginalisation des femmes et où les participant-e-s à la dernière Gay Pride ont été tabassé-e-s durement par des groupes nationalistes. Ce fut l'occasion de découvrir des groupes comme « Azin », qui développent, entre autre, des projets de coopératives d'activités entre femmes en milieu rural sur des bases plus ou moins horizontales et autogestionnaires (avec des financements directement issus des bénéfices de droits d'auteurs d'une chanson d'ABBA. Vive la disco !).
Plus globalement, même si cette conférence était encore dominée, de par les participant-e-s et l'implication dans un certain nombre de rôles moteurs, par des activistes de l'ouest, elle a néanmoins permis des rencontres entre militant-e-s d'Europe de l'Est, une meilleure compréhension de leur contexte et problématiques, et la mise en place d'une dynamique AMP dans les Balkans.
En terme d'action communes, quelques grandes actions fédératrices furent discutées hors des groupes thématiques comme la mobilisation contre le G8 et une journée de soutien aux luttes pachaméricaines (qui s'emploient à radicaliser le mouvement social notamment au Venezuela). De nouvelles formes furent pensées comme l'Estafette, qui se veut une relais d'actions thématiques suivies entre des groupes à travers l'Europe. Malheureusement, on pu noter encore une fois le décalage entre l'énergie créé pendant les conférence, et une continuité dans l'implication bien moindre pour maintenir les structures des réseau et concrétiser les projets hors des gros évènements fédérateurs.