Quand la rue s'embrase
Ce thème sera traité lors du moment décentralisé à Dijon.
Rencontres autour des révoltes françaises du printemps
Après un automne brûlant marqué par une déflagration d'émeutes et de révoltes en banlieue suite à la mort de deux jeunes poursuivis par la police, la France a été ce printemps le terrain d'un long mouvement social, massif et radical.
Au mois de janvier 2006, Dominique de Villepin avait annoncé une loi dite "pour l'égalité des chances", notamment pour répondre aux émeutes de novembre : suppression des allocations familiales pour les mineurs absentéistes, possibilité de licencier sans justifications, rétablissement de l'apprentissage à 14 ans...
Quelques mois d'occupations massives des facs, d'émeutes dans la rue, d'actions directes et de bloquages économiques ont fait reculer le gouvernement français pour la première fois depuis plusieurs années dans ce type de contexte (souvenirs de 1995...).
Au delà du retrait d'une loi parmi d'autres qui visait à précariser un peu plus le travail, mais dont la disparition ne change malheureusement pas grand chose à l'oppression capitaliste, le mouvement à renforcé la détermination et créé une brèche d'ampleur par ses modes d'actions et de vie collective.
Un des aspects les plus enthousiasmants de ce "mouvement" contre le CPE et son monde a été la résonnance et le partage d'une critique radicale des structures de l'Etat et de l'économie, de la norme du travail salarié, des modèles de consommation, de croissance économique et d'invidualisme libéral.
La plupart des facs et de très nombreux lycées sont restés fermés pendant deux mois et plus. Comme une traînée de poudre, de ville en ville, se sont répandus des bloquages de routes, de centres de tri postal, d'aéroports, de gares, de chantiers, des occupations de mairie, conseil général, Anpe, des sabotages, des déménagements d'agences d'interim, de locaux des partis politiques, des pratiques émeutières et organisation en groupe affinitaire pour agir, redécorer, casser pendant les manifs, autoréductions dans les magasins, sabotages de lignes de chemin de fer, de bâtiments, de meetings, de costumes de politiciens... Un tel soutien populaire ne s'était pas vu depuis longtemps, des solidarités se sont créées avec d'autres milieux, sans-papiers, rmistes, chômeur-euse-s, intermittent-e-s, salarié-e-s dépassant le soutien prudent des centrales syndicales. Dans nombre de ville, chaque journée était marquée par des manifestations sauvages, les soirées par des manifestations nocturnes, une partie des manifestations se terminaient régulièrement en émeutes.
Pendant qu'un premier ministre réduit à l'état de vieux disque rayé renforçait la colère quasi quotidennement à la télévision en annînant son refus du retrait, des milliers de personnes décidaient en Ag de porter la destruction du capitalisme, l'amnistie des émeutiers de novembre, la disparition des frontières, de transformer les services d'ordre en services d'action directe ou les gazons de la fac en potager. La police française ne savait plus ou donner de la tête et un des principaux syndicats de flics a même imploré le gouvernement de lâcher et communiqué publiquement sa peur qu'une "haine massive de la police se développe dans la jeunesse" et que la situation devienne totalement incontrôlable.
De fait, en comparaison à d'autres remous sociaux de ces dernières années, il était frappant de voir à quel point il y avait un accord partagé largement sur le fait que le succès de la lutte tienne à une diversité d'actions directes, de ressentir combien était revendiquée la nécessité d'un certain "illégalisme". Il était impensable de se contenter d'aller en cours et d'exprimer calmement et "démocratiquement" son désaccord en masse dans la rue, dans les défilés autorisés, aux moments autorisés pour le spectacle de la liberté de contestation. Malgré les pressions de tout part, il était clair qu'il fallait, pour faire vivre le mouvement, que le cours du quotidien s'arrête, que les facultés soient bloquées, repeintes, chamboulées, que les lycées soient bloqués et barricadés. Et c'est notamment ce bloquage même du quotiden, qui a fait le sel de la lutte, dégagé du temps et de l'espace pour d'autres possibles qu'un morne enrôlement dans l'exploitation salariée et la consommation, qui a changé concrêtement pendant quelques mois nos vies et bouleversé de nombreux rapports sociaux.
Il en reste de multiples traces et énergies...
Dans le but de se donner des perspectives, nous aimerions inviter à Dijon des personnes et collectifs impliqués pour croiser des expériences et réfléchir aux suites à donner aux alliances et pratiques qui se sont créées, ainsi qu'échanger avec des militant-e-s d'Europe, notamment d'Allemagne ou de Grèce, qui se sont retrouvé-e-s dans les mois derniers au coeur d'explosions sociales de ce type.
Outre des récits sous formes de présentations, films, débats, expos... voilà certains des sujets sur lesquels on a envie que soient proposés des débats et ateliers :
- les héritages des mouvements de chômeurs de la fin des années 90, des mouvements de sans-papiers, la manière dont le mouvement des lycéen-ne-s de 2005 a amorcé un certain "jusqu'au boutisme", ou comment les émeutes de novembre et le choc frontal qu'elles ont posé face à l'état ont marqué les esprits.
- l'inventivité des modes d'actions et la manière singulière dont le mot d'ordre de bloquage de l'économie a focalisé les énergies et permis le rapport de force. Pour la suite, il est primordial de penser la manière dont nous pouvons entretenir, transmettre et démultiplier ces formes d'actions.
- les luttes de fond portées par une partie du mouvement et le refus au delà du CPE, du travail salarié, des logiques de croissance économique et de l'éducation-consommation...
- la manière dont l'occupation sur plusieurs mois des universités a développé des expériences de vie quotidienne collective autogestionnaire. L'importance de se réapproprier des espaces pour tenir une lutte... la singularité des expériences et ce qui s'y est tramé.
- les outils d'organisation, d'assemblée, de décision que se sont données les personnes en lutte dans les différentes villes... Les coordinations nationales, les Ag bordeliques ou formalistes, groupes affinitaires, assemblées en lutte, l'importance du mythe du vote majoritaire pour légitimer la lutte...
- la force du mouvement et son autonomie, tout autant que sa fragilité persistante face aux manipulations syndicales, à la propagande médiatique ou à la "fin" décrétée avec quelque succès par le gouvernement grâce au retrait d'une partie de la loi.
- le rapport aux médias et la manière dont le mouvement a agi sans eux, les a boycotté, voire pris pour cible, en se constituant comme suffisament fort pour moins faire dépendre d'eux sa visibilité et mettant à jour leur rôle de gardien de l'ordre social et du discours libéral.
- l'importance à contrario et l'usage massif qui a été fait d'outils comme Indymedia pour donner des rendez-vous, communiquer sur des actions, débattre...
- l'analyse des liens entre le mouvement du printemps et les "banlieues" : le peu d'implication des milieux militant-e-s dans les émeutes de novembre et les solidarités qui se sont parfois créées néanmoins. Les alliances et conflictualités pendant le mouvement entre "jeunes des banlieues" et "étudiant-e-s", la réalité de ces cloisonnements et leurs dépassements parcimonieux dans la lutte.
- la manière dont ce type de mouvement social permet un éclatement du "milieu radical" et de son cloisonnement. Pour beaucoup de militant-e-s radicaux, il était incroyable de ressentir à quel point des pratiques et idées qui sont de fait fort marginalisées, peuvent se trouver massivement et rapidement réappropriées dans un contexte de crise sociale et de luttes.
- la manière dont certains groupes militants constitués ont pu contribuer ardemment au maelstrom, ou se retrouver au contraire comme en retrait ou dépassés.
- les perspectives après le mouvement, comment inscrire cette lutte dans la durée et continuer à se coordonner, transmettre les pratiques, se préparer pour la prochaine révolte ou l'attiser...
- le soutien aux victimes de la répression.
Voilà, c'est des idées, à vous d'en apporter d'autres, ainsi que des propositions d'ateliers... si possible à l'avance, dans le but de se préparer et de commencer à constituer un programme.
Quelques liens vers des textes issus des luttes contre le CPE et son monde:
- Le CPE, une goutte d'eau dans un lac de rage - Quelques remarques sur la violence, l'illégalité et l'orientation des luttes sociales (Grenoble, avril 2006), avec traduction de ce texte: - en anglais - en allemand - en italien [lien à venir]
- CPE - "Le Monde se referme-t-il ?" suivi de "Pousser le monde qui s'écroule" & de "l'Appel de Raspail" + Bonus