De la marginalité subie à l'autonomie choisie
Ce thème sera traité lors du moment décentralisé à Bellevue.
De la marginalité subie à l'autonomie choisie
Les discriminations et les mécanismes d'exclusion sociale ou économique, présents dans la plupart des sociétés, sont très actifs dans le système dominant actuel, fondé sur des principes individualistes de compétitions, de concurrence, d'insécurité sociale, de peurs des autres, de repli sur soi ou sur des groupes de semblables : milieux socio-culturels, nationalisme, xénophobie, conflit inter-religieux. Indépendamment des systèmes d'aide sociale et des actions caritatives qui permettent à certains de survivre matériellement, ces attitudes et ces mécanismes relèguent et maintiennent à la marge de la société des personnes et des groupes sociaux bien identifiés : SDF, étrangers, jeunes de banlieue, familles du quart-monde, personnes étiquetées comme « cas sociaux », « handicapés mentaux », « sans qualification », « sans emploi », « sans abri », « sans papiers », ... Ceux-ci sont souvent condamnés à choisir entre 2 alternatives : lutter pendant des années dans l'espoir de rejoindre un beau jour, peut être et à grand-peine, le peloton qui pédale dans le « métro-boulot-conso », ou se résigner à survivre dans la débrouille ou dans des relations d'assistance et de dépendance qui prive chacun-e de la maîtrise de ses conditions d'existence et du sens qu'il ou elle souhaite donner à sa vie.
Parfois proches, parfois loin de ces personnes qui subissent une marginalisation forcée par rapport à la société dominante, des groupes tentent de se libérer du système pour construire leur vie sur des bases plus proches de leurs valeurs communes et de leurs utopies, en rupture et souvent en opposition avec les valeurs, les modes de vie et les rapports de pouvoir dominants.
Qui sont les acteurs de ces aventures ? Cette possibilité de choisir librement notre chemin en fonction du sens que l'on veut donner à nos vies est-elle réservée aux aventuriers dont le milieu social d'origine, le parcours scolaire, associatif ou militant, les ouvertures, les rencontres ou les lectures, ont facilité cette prise de conscience, la recherche d'alternatives et la capacité à construire avec d'autres cet « autre monde possible » ?
En ville ou à la campagne, nos expériences « alternatives » ou « autonomes » sont-elles en contact, ouvertes ou partagées avec des personnes qui jusque là subissaient une marginalisation sociale plus qu'elles ne la choisissaient ? Peut-on dépasser les regroupements naturels entre individus socialement ou culturellement proches, pour construire des histoires communes avec nos différences d'origine ou de parcours ? Dans quel but ?
Les luttes sociales, le combat pour l'accès aux droits pour tous, sont-ils les seuls terrains de rencontre, de solidarité et d'action commune entre les uns et les autres ? Y a-t-il d'autres échanges à explorer, des passerelles à construire, des expériences de vie, des cultures, des attentes, des utopies à partager, des actions ou des projets à mener ensemble ? Sur quels
terrains ? Un ancien paysan turc exilé économique dans une banlieue européenne peut-il apprendre à un jeune néo-rural à cultiver des poivrons ou comment vivre simplement avec peu de moyens matériels ? Un atelier de création rap dans un quartier peut-il rassembler des jeunes en Nike et des squatteurs anarchistes ? Une personne qui vivait dans la rue trouvera-t-elle du sens et du plaisir à construire avec d'autres une yourte dans un environnement géographique et humain moins agressif ? Une association de chômeurs peut-elle se lancer dans la création d'une entreprise alternative autogérée ? ...
Quel regard portons-nous sur les autres ? Savons-nous
dépasser les « étiquettes » qu'on leur colle, ou sommes-nous aussi prisonniers de certains conditionnement sociaux ?
Se poser toutes ces questions, n'est-ce pas encore établir des distinctions pour mieux les dépasser ?
Dans nos attitudes, nos fonctionnements personnels et collectifs, quels comportements facilitent l'ouverture, la prise en compte et le dépassement des différences, ou au contraire, imposent volontairement ou inconsciemment des codes, des normes, un langage, une culture commune, des jugements qui excluent celles et ceux qui ne les partagent pas au départ ?
Des personnes en détresse, en rupture ou en dérive, ou qui ont perdu le sens de leur vie, peuvent-elles reprendre pied dans un lieu de vie ou d'activités collectif et alternatif ou l'accueil, les rapports humains, les activités, et le sens partagé permettent à d'autres de trouver leur place, temporairement ou durablement ? A quelles conditions ?
Où situer le compromis entre avancer rapidement sur nos projets entre personnes assez proches (même si déjà bien différentes), autonomes, et engagées, ou prendre le temps de construire ensemble entre personnes aux parcours plus éloignés ? Comment établir des bases communes et des rapports équilibrés qui prennent en compte les apports et les limites de chacun dans différents domaines, pour ne pas retomber dans le piège de l'assistanat, ou du paternalisme de ceux qui sont convaincus de savoir ce qui est bien pour tous et d'être sur le bon chemin ?
Donc la vie communautaire, les activités vivrières autonomes ou les projets associatifs sont-ils plus propices à un partages des différences que les entreprises économiques mêmes « alternatives » qui, soumises à des contraintes de normes, de qualité, de productivité, ou exigeant de tous un même niveau d'autonomie dans le travail et d'engagements coopératif, peuvent reproduire, consciemment ou pas, la sélection et l'exclusion qui sévissent dans le marché du travail ?
Plus globalement, la recherche d'un « autre monde possible » à travers des expériences concrètes d'une autre manière de vivre et d'agir ensemble peut-elle provoquer un véritable changement social sans prendre en compte les mécanismes d'exclusion qui maintiennent tant de personnes à l'écart de toutes possibilités d'alternative ? Ou s'agit-il d'une vaine utopie teintée d'altruisme bien pensant pour ajouter une touche de bonne conscience à nos belles aventures collectives ?
Le travail de l'atelier pourra tenter de répondre à certaines de ces questions (et à beaucoup d'autres) privilégiant le partage d'expérience des uns et des autres dans différents contextes en lien étroit avec nos visions du monde et de ce que nous voulons y changer.