L'expérience zapatiste
Ce thème sera traité lors du moment décentralisé à Bellevue.
Un chemin vers l'autonomie : l'expérience zapatiste.
Parlant d'autonomie, le chemin parcouru par les zapatistes au Chiapas, sud-est du Mexique, nous paraît fondamental et digne d'un grand intérêt. Retraçons le brièvement dans ses grandes lignes.
Genèse et caractéristiques du mouvement
C'est d'abord sous la forme d'une armée de libération nationale que le mouvement zapatiste fait irruption, le 1er janvier 1994, en occupant sept chefs-lieux du Chiapas, réclamant la réalisation de demandes élémentaires (un toit, la terre, le travail, la santé, l'éducation, l'alimentation, la liberté, l'indépendance, la démocratie et la paix).
Cette armée offre déjà quelques particularités intéressantes, elle est constituée essentiellement d'indigènes du Chiapas, de très nombreuses femmes la composent (35%), elle fait irruption le jour même de l'entrée en vigueur du traité de libre-échange de l'Amérique du Nord (ALENA), dévoilant déjà sa facette résolument anticapitaliste.
En fait à regarder de plus près ce mouvement s'est organisé durant plus de dix ans dans la clandestinité, au départ proche d'un mouvement de guerilla (marxiste-léniniste) classique, il va très vite renverser toutes les logiques du genre en mettant en avant sa composante indigène, sa symbolique, sa notion du temps, ses croyances et sa sagesse. L'armée est là pour obéir aux décisions des autorités civiles et ne fait que commander en obéissant aux communautés qu'elle sert fidèlement.
Très vite le feu des armes va laisser la place à la parole comme arme. Le soutien immédiat de la société civile nationale et internationale va pousser le mouvement à dialoguer avec le gouvernement mais aussi et surtout avec la société civile, permettant ainsi une connaissance et un respect réciproques, que ce soit par le biais de poétiques communiqués publiés dans la presse ou par de nombreuses rencontres publiques.
Les périodes de parole alternent avec le feu des armes, la parole s'affirme de plus en plus par le biais d'initiatives politiques, qui ne font que refléter la colonne vertébrale du mouvement à savoir l'organisation des communautés indigènes.
Les initiatives politiques
En s'organisant, les zapatistes commencent par se présenter à la société civile avec la mise sur pied de la Convention nationale démocratique (1994), puis une large consultation des communautés sur leur participation aux accords de San Andrès sur les droits et la culture indiens est réalisée (1995). En 1996, les accords de San Andrès à proprement parler sont négociés par, non seulement, les zapatistes mais aussi des représentants de nombreuses ethnies du Mexique, le Conseil National Indigène regroupant des indigènes de tout le Mexique voit le jour, des rencontres continentales et intercontinentales sont organisées permettant aux zapatistes et à la société civile d'apprendre à se connaître, cette fois-ci, mutuellement. En 1997, les communautés s'organisent pour envoyer 1111 délégués des communautés à la capitale en vue de l'application de ces accords.
En 1999 face à l'inapplication de ceux-ci par le gouvernement, une consultation nationale pour les droits et la culture indiens est lancée par le biais de laquelle 2500 femmes et 2500 hommes des villages zapatistes parcourent tout le Mexique! Puis en 2000, c'est la marche de la couleur de la terre qui va développer plus intimement les liens avec la société civile, ébauchés lors de la consultation de 1999, avec comme conclusion la présentation devant le parlement de la nécessité de l'application de ces accords.
Suite à la déformation de cette loi par les parlementaires de tout parti confondu, les zapatistes décident d'appliquer eux-mêmes ces accords par la mise en route effective d'un mode de gouvernement autonome dans les zones zapatistes, à savoir la création des caracoles et des conseils de bon gouvernement.
L'autonomie politique
Au fil de leur existence, les communautés ont consolidé l'organisation de communes autonomes: pratique déjà présente dans l'expérience ancestrale d'organisation collective l'autonomie politique des communautés zapatistes devient plus aboutie par la mise en place des conseils de bons gouvernements, ces instances de coordination des communes autonomes. Les conseils se composent d'un délégué de chacune des communes autonomes de la zone (caracol) et fonctionnent par roulement d'une ou deux semaines évitant ainsi que les autorités deviennent une élite et insistant sur l'exercice de la politique comme service donné à la collectivité. Leurs tâches s'étendent de la mise en oeuvre d'une plus grande équité dans le développement des communautés autonomes, au suivi des projets communautaires, à l'accueil de la société civile, ou encore au règlement de différends (entre individus zapatistes ou non, ou instances et organisations diverses).
Cette étape importante sur la voie de l'autogestion signifie passer d'une résistance à une alternative d'autogouvernement et nécessite aussi l'autonomie des autorités civiles par rapport à la structure militaire de l'arme zapatiste (EZLN).
Pour atteindre cet horizon de l'autonomie, un accent particulièrement fort a été posé sur les domaines de la santé et de l'éducation, permettant la formation de nombreux promoteurs (de santé et d'éducation) indiens issus des communautés mêmes, et la construction des infrastructures nécessaires avec l'aide précieuse de la société civile internationale. Ainsi la majorité des zapatistes peuvent bénéficier de soins de santé gratuits et d'une éducation biculturelle.
Avec la publication de la 6ème Déclaration de la Selva Lacandona en été 2005, les zapatistes réaffirment avec force leur convictions anti-capitalistes, anti-parti, et en faveur de l'autogestion, ils annoncent la mise sur pied de l'autre campagne, qui verra une délégation parcourir tout le Mexique pour récolter les doléances du peuple mexicain et tenter au niveau national de trouver une solution politique hors de l'organisation gouvernementale et des partis. Une nouvelle délégation repartira l'année suivant pour poursuivre ce travail et trouver à long terme des solutions communes et construire de nouvelles alternatives.
Les zapatistes continuent à se questionner en avançant, et partant d'un soulèvement armé, ils ont au cours de plus de dix années de vie publique construit une alternative durable au système capitaliste, proposant de faire de la politique autrement, une politique qui rime avec l'éthique.
Ils nous invitent à nous questionner sur nos pratiques quotidiennes, à créer nos propres alternatives et finalement à unir nos divers apprentissages pour avancer finalement les uns avec les autres.
Collectif Viva Zapata, Genève.
Ces rencontres permettront une présentation du mouvement zapatiste et de sa permanente évolution. Il sera ensuite intéressant de réfléchir comment il "gagne" en autonomie vis à vis de l'Etat et du capitalisme au niveau de l'éducation, de la santé et à un niveau politique plus global, nous critiquerons aussi les limites qui lui incombent.
Pour plus d'infos :
http://ezln.org.mx - http://cspcl.ouvaton.org
Gloria Muooz Ramirez, 2004, 20 et 10 Le Feu et la Parole, Nautilus, Paris.